La Grande-Bretagne et la Communauté Européenne, une histoire complexe

Andrew ROSSITER

  • jeudi
  • 05
  • décembre
  • 2019

Détails

  • Heure de début : 17h45
  • heure de fin : 19h15
  • Public : réservé aux adhérents
  • Thème : Regards sur l'Europe
  • Lieu : Amphithéâtre de l'IUT
    50 Avenue de Bordeaux
    12000 Rodez

Conférencier

  • Andrew ROSSITER
  • Ancien Maître de conférences en civilisation britannique à l’Université de Franche-Comté, Chargé de cours en LEA à l’Université Champollion

Après la seconde guerre mondiale, Churchill fut un des premiers à soutenir l’idée d’une union des pays européens pour mettre fin aux nationalismes conflictuels du passé. Mais au départ, la CEE s’est faite sans les Britanniques, d’abord à cause de réticences post-impérialistes des Britanniques, mais aussi de celles du Général de Gaulle. Quand enfin le Royaume Uni a pu adhérer à la CEE en 1973, l’anti-européanisme était déjà bien ancré dans une partie de l’opinion (aile droite du Parti Conservateur). Depuis, la question du rapport entre le RU et l’Europe divise l’opinion et la classe politique à gauche comme à droite. De là au Brexit, le pas était facile à franchir…

La Grande Bretagne et l’Europe
Aux racines du Brexit

Brexit – Comment en est-on arrivé là ?
1. Une longue tradition historique
2. La mentalité insulaire
3. De Churchill à Cameron
4. Le legs de Margaret Thatcher
5. La lutte fratricide des Conservateurs
6. Médias, mensonges et opinion publique

1. Une longue tradition historique
Le premier “Brexit” est en 1534 – The act of Supremacy –
C’est une Anglexit…. Le roi Henry VIII fait sortir l’Angleterre du tutelage de l’église catholique. Le parlement anglais sera suprême sur le territoire anglais.
C’est l’acte fondateur d’une nouvelle conscience de l’identité anglaise

2 – 1. Une longue tradition historique
1567 – Granvelle, chancelier de l’Empereur Charles Quint, ferme les Flandres au commerce des tissus avec l’Angleterre. C’est la guerre commerciale.
Objectif : casser l’industrie du textile en Angleterre et renforcer la puissance
des tisserands flamands. Résultat: exactement l’inverse.
Les Flandres sont privés d’une matière première vitale, la laine anglaise, réputée être la meilleure en Europe. Nombreux tisserands flamands partent s’installer en Angleterre. Les marchands anglais cherchent d’autres marchés et se lancent sur la voie de la mondialisation de leur commerce.

3 – 1. Une longue tradition historiqueFin 16° siècle – Exclu des marchés de l’Europe hapsbourg, l’Angleterre se met avant les autres à développer son commerce sur le plan mondial

4 – 1. Une longue tradition historique
17° siècle La colonisation suit le commerce. Le commerce crée une nouvelle richesse qui dès 1700 encourage une révolution industrielle. En termes économiques, la Grande Bretagne commence à diverger radicalement des pays d’Europe continentale.

5 – 1. Une longue tradition historique
18° – 19° siècles L’Economie britannique se détache totalement des économies d’Europe continentale. Bâtie sur le libre échange façon impériale et sur la liberté d’entreprendre, elle s’envole. En 1840 la Grande Bretagne dispose d’un tiers de la capacité manufacturière mondiale

6 – 1. Une longue tradition historique
20° siècle Même si la puissance économique et impériale de la GB commence à décliner relativement à partir de 1870, le pays s’engage dans deux guerres mondiales dont il sort vainqueur. L’idée reçue reste fermement implantée dans l’imaginaire populaire que la Grande Bretagne est “le meilleur pays au monde » – Qu’elle n’a pas besoin des autres pour survivre.

7- 2. Une mentalité insulaire
Impossible de ne pas tenir compte du fait que la Grande Bretagne est une île….….
Et que certains la voient à des milliers de kilomètres de l’Europe continentale. Et d’autres la voient plus près de ceux, plus loin, “qui parlent la même langue”, que des voisins Européens.

8 – 2. Le fait que la Grande Bretagne partage une histoire une culture et des ethnicités communes avec les autres pays d’Europe est largement méconnu par une partie de la population – une ignorance largement mise à contribution par certains partisans du Brexit .

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Toutes les idées reçues bâties sur la « glorieuse histoire économique » de la Grande Bretagne, de sa capacité de faire face, et de ses différences d’avec l’ “Europe” , perdurent encore dans l’imaginaire populaire et ont été largement présentes dans les discussions et débats parfois houleux autour du Brexit…. Et cela malgré…

10 – 3a. Churchill Dès 1930 Churchill prone le rapprochement des pays d’Europe. Il soutient le plan de Briand qui préconise la création d’une “Union fédérale européenne”. Il écrit: We see nothing but good and hope in a richer, freer, more contented European commonalty ». (Article publié le 30.02.1930)
Le 16 juin 1940 Churchill approuve la “Déclaration d’Union” entre la GB et la France proposée par de Gaulle pour le gouvernement Reynaud.

11 3a. – Cette initiative, prise en temps de guerre, a été largement oubliée par la suite; mais les textes ont survécu. De Gaulle en a rendu compte : “Churchill propose la constitution d’un gouvernement unique franco- britannique et vous, Monsieur le Président, pouvez être Président du cabinet de Guerre franco-britannique.”
Sa note précise: “Les deux gouvernements déclarent que la France et la Grande-Bretagne ne sont plus désormais deux nations, mais une Union franco-britannique…. Chaque citoyen français jouira immédiatement de la nationalité britannique, chaque sujet anglais deviendra citoyen français.”

12 3a. En 1946 Churchill revient à la charge. Son célèbre “Discours de Zürich” trace la voie pour la création d’une communauté européenne :
“ If Europe were once united in the sharing of its common inheritance there would be no limit to the happiness, prosperity and glory which its 300 million or 400 million people would enjoy..”
Et d’enchaîner: “We must build a kind of United States of Europe”

13 3a – L’Union européenne compte Churchill parmi les 11 pères fondateurs de l’Europe. Toutefois, Churchill a hésité au moment des premiers pas vers la construction européenne . Il restait acquis à l’idée d’une structure européenne mais contre une structure fédérale.
En 1950 il n’était pas au pouvoir au moment du lancement du Plan Schumann, mais a critiqué le gouvernement travailliste d’Atlee pour ne pas avoir participé aux discussions.

14 3b. Atlee 1950 – 1951 – Gouvernement Atlee Sous le gouvernement travailliste de Clement Atlee la Grande Bretagne, plus atlantiste, reste à l’écart de la construction européenne.
Elle ne s’intéresse pas aux négociations en vue de la création de la CED – communauté européenne de défense, qui rassemblent F + D + I + Bénélux. Mmais au fait la CED ne voit jamais le jour car le parlement français en refuse la ratification.
15 3c. Fin 1951 Retour de Churchill .
Churchill revient au pouvoir. Mais la première structure europenne, la Communauté européenne du charbon et de l’acier se fait sans le Royaume Uni, pour plusieurs raisons.
1. La GB n’avait pas participé à sa mise en place.
2. Les prémices de la Guerre Froide et les problèmes de fin d’empire ont donné d’autres priorités au gouvernement.
3. Le secteur acier-charbon en Europe continentale était à genoux après la guerre; en GB il tournait à plein régime.
16 3c. 1951-55 2° gouvernement Churchill
La Grande Bretagne, ne participant pas à la CECA, ne participe pas non plus aux débats sur sa mise en place ni sur son développement. Elle a d’autres priorités – la transition de fin d’empire, et son atlantisme.
Et puis en termes de commerce l’Europe compte peu pour la GB : en 1952 seulement 13% du commerce extérieur britannique concerne les pays fondateurs de la CEE (F-D-I-B-NL-L)

17 3d. L’après-Churchill 1955 – 1964 gouvernements Conservateur
25 mars 1957 Signature du Traité de Rome
La Grande Bretagne ne fait pas partie des pays fondateurs de la CEE (France -Allemagne -Italie – Belgique -Pays Bas – Luxembourg )

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1960 Création d’EFTA ou l’AELE. La Grande Bretagne comprend déjà qu’elle doit développer son commerce avec l’Europe Mais exclue de la CEE, elle lance une autre structure, plus petite, et sans autre objet que commercial. GB est un grand parmi des petits. L’AELE regroupe GB, CH, NO, SE, DK, Portugal et Autriche

19 Gouvernements Conservateur – notamment sous MacMillan
Les politiques comprennent aussi que la GB a raté le coche en ne participant pas à la CEE. Tout ne lui plaît pas, et surtout la PAC qui lui serait préjudiciable. Mais dans l’ensemble le gouvernement commence à revoir sa copie. Adhérer à la CEE aurait des avantages.

20 Vers l’adhésion. 1955 – 1964 gouvernements Conservateur
1963 Première demande d’adhésion de la GB. Macmillan (à droite), 1° ministre Conservateur, fait la demande. Cinq des six membres de la CEE sont d’accord, mais un homme s’y oppose…

21 1963
Pour De Gaulle (qui n’a pas complètement tort) la GB est trop atlantiste, trop tournée vers le monde en dehors de l’Europe. Et trop peu agricole. Mais comme l’avait écrit MacMillan dans son journal, The great question remains, “What is the alternative?” to the European Community. If we are honest, there is none.

22 1964-1970 Gouvernement travailliste
1967 Le P-M Travailliste Harold Wilson demande à nouveau l’adhésion du Royume Uni à la CEE. Mais encore une fois de Gaulle y oppose son véto.
Les « non » à répétition de De Gaulle agacent sérieusement l’opinion publique, et servent à fomenter l’anti-européanisme dans le pays ….

23 Gouvernement travailliste 1964-1970 puis Gouvernement conservateur 1970-1974
1969: De Gaulle se retire.
La GB redemande son adhésion. Elle obtient des concessions et au 1° janvier 1973 la Grande Bretagne rejoint la CEE.

24 3f. Après l’adhésion -Mais les dissidents et sceptiques sont nombreux. Le grand argument des anti-CEE : le prix du beurre…. Soit le panier de la ménagère. En avril 1973 le prix d’une livre de beurre est de :
£0.22 en Grande Bretagne (beurre de Nouvelle Zélande)
£ 0.41 au Danemark
£ 0.54 en France… soit 250% du prix en Grande Bretagne. La CEE commence à être diabolisée.

25 1974-1979 Gouvernement travailliste – Wilson > Callaghan
Wilson est réélu en promettant un référendum. De retour au pouvoir il critique moins les institutions européennes.
En 1975 il organise le premier Référendum.
Résultat : 65% de voix en faveur du maintien de la GB au sein de la CEE.
Les Travaillistes et Conservateurs y sont favorables.

26 Mais les médias de droite restent Eurosceptiques … Surtout les “Tabloïds”.
Par la presse, comme par certains Conservateurs, l’Europe est pointé du doigt pour tout. C’est le bouc émissaire général. Et avec des tirages allant jusqu’à 5 millions d’exemplaires, les tabloïds ont un puissant impact sur l’opinion publique, surtout populaire.

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Pour les anti-CEE, l’Europe, c’est…. Des impôts en plus, Une bureaucratie inutile, Une ingérence dans les affaires internes, La corruption.
Et surtout des règles absurdes (la forme des bananes etc.) et liberticides. La presse de droite s’y donne à cœur joie, surtout les tabloïds

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Bref… la CEE devient en Grande Bretagne….
Un outil utilisé par les gouvernements pour se disculper de tout ce qui ne va pas bien dans le pays.
Un outil utilisé par les oppositions (à tous les niveaux) pour critiquer le gouvernement.
Et il y a une dame sait très bien en tirer parti – la nouvelle cheffe du Parti conservateur

29 3g. Les années Thatcher 1979 – 1990
Thatcher vient au pouvoir sur une vague de protestation contre le gouvernement travailliste. Sans être anti-européenne (elle avait fait campagne pour le Oui à l’Europe avant le référendum de 75) elle instrumentalise à son compte tout le sentiment anti-européen fomenté par la presse de droite, qui lui est totalement acquise.

30 Mais elle NE PROPOSE PAS de sortir la GB de la CEE.
Elle veut réformer la CEE de l’intérieur, la rendre plus équitable (aux yeux des Britanniques), et mettre une fin à des velléités de fédéralisme. En gros elle réussit.

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Elle critique vivement le bureaucratisme de la CEE mais en même temps elle reste constructive. Elle est très favorable à la création du Marché Unique, elle soutient Maastricht … point curieusement oublié par les partisans d’un Brexit dur qui lui vouent une fidélité quasi religieuse.

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Ce n’est que vers la fin de de sa “règne” qu’elle critique plus acerbement le fonctionnement de l’UE. Et c’est cette critique qui provoque sa chute. Elle n’est suivie que par l’aile droite souverainiste et libre-échangiste du PC. La majorité au PC est pro- européenne. Une sérieuse fracture, qui mènera 25 ans plus tard au référendum de 2015, est enclenchée au sein du Parti conservateur.

33 La fracture du Parti Conservateur.
Le Parti conservateur britannique est un parti de droite très large, et depuis longtemps divisé en factions. 1. Les néo-libéraux 2. Les nostalgiques 3. Les sociaux-libéraux.
Jusqu’à Thatcher, il y a coexistence pacifique et consensuelle. Pendant l’ère Thatcher il y a rupture entre 1 (les “Thatcherites”) et 3 (les “Wets » les Mous). Au coeur du débat, l’Europe. Peu à peu, Thatcher évince les « wets » de ses gouvernements. Mais ces mous restent majoritaires en termes d’élus.
34 C’est ainsi qu’à la fin de l’époque Thatcher, les sociaux-libéraux pro-européens reprennent le dessus. Thatcher est évincée et remplacée par John Major

35 Les années Major 1990 – 1997
Maastricht – Marché unique. Sous Major, le gouvernement Conservateur est plus européen. Mais les nostalgiques de Thatcher sont plus critiques. L’idée d’un nouveau référendum fait surface au sein du PC. Ainsi les Conservateurs, de plus en plus divisés sur l’Europe, perdent les élections de 1997.

36 3g. Les années Blair 1997-2010 Gouvernements travaillistes
Tony Blair dirige un gouvernement fermement “européen” et socio-démocrate. L’aile gauche du PT est bottée en touche, mais reste en partie anti-européenne. La question de l’Europe divise ainsi les deux principaux partis politiques…. Mais les europhiles restent dominants des deux côtés

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L’Europe n’est plus un enjeu ni à gauche ni à droite. Les sondages d’opinion montrent qu’une minorité de la population britannique est ”eurosceptique ». Comme dans d’autres pays. La minorité eurosceptique se trouve à l’aile gauche du PT et à l’aile droite du PC….
Et dans un nouveau parti l’UKIP créé par un démagogue ex-banquier Nigel Farage

38 2010 – 2015 – L’Epoque Cameron
Les Travaillistes perdent les élections de 2010. L’Europe n’est pas un argument électoral sauf pour UKIP (qui est marginal, et remporte 0 sièges).
Cameron est issu du centre socio-libéral du PC: il est europhile.
L’Europe n’est pas un grand sujet d’actualité. Et surtout pas une inquiétude de la population britannique… mais
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Comme le Front National pour les Républicains en France, Nigel Farage et son UKIP marchent sur les plates- bandes de la droite eurosceptique du Parti Conservateur, qui se met à ruer dans les brancards. Pour la droite du P.C, le parti perdra le pouvoir s’il ne s’affiche pas plus populaire (-iste), et eurosceptique…
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Pour faire taire l’aile droite de son parti, Cameron promet un nouveau référendum sur l’Europe s’il est réélu. Il est largement réélu.

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Un nouveau référendum était une promesse électorale facile à tenir pour Cameron….
Surtout qu’il ne pensait pas une milliseconde que les Britanniques voteraient en faveur du “Brexit”. Les chiffres économiques de 1950 à 2016 montrent bien comment le Royaume Uni a très bien profité de sa position au sein de la CEE / UE
42 – 5. Mais…..
Depuis des années, les sondages donnaient le ”leave” souvent gagnant dans l’opinion. Toutefois Cameron était persuadé que le “Remain” l’emporterait après une campagne où tous les grands partis, et la plupart des décideurs, étaient pour le maintien de la GB au sein de l’UE. Comme en 1975 pour le premier référendum.

43 – Mais 2016 était une année pas comme les autres.
C’était…
L’année des flux migratoires à travers l’Europe L’année du populisme et des nationalismes rampants… partout…. Et les “Brexiteurs” et la presse populaire pro-Brexit n’a pas hésité de tout mettre en œuvre, y compris mensonges et xenophobie ouverte. Pour de nombreux électeurs, les slogans, même mensongères, sont plus faciles à comprendre que des arguments économiques.

44 – le 23 juin 2016 – Référendum
Résultat….. 51,9% de voix en faveur du Brexit….
La classe politique toute entière est sidérée. Cameron démissionne
Theresa May le remplace, en promettant de mettre à exécution “la décision du peuple” Le chaos politique commence.
45 Depuis Cameron 2015 – 2020 Gouvernements May-Johnson
La plupart des parlementaires sont contre le Brexit, mais très peu osent voter contre leur parti. Conservateurs et Travaillistes se bousculent pour soutenir “le résultat des urnes” La presse tabloïde traite d’ “ennemis du peuple” ceux qui osent se mettre en travers du chemin du Brexit ou questionner le bon déroulement du référendum.
46
2017 Theresa May, gênée par sa faible majorité au parlement pas assez convaincu du Brexit, provoque des élections législatives anticipées, pour se donner une plus grande majorité.
Mais comme Cameron, elle se trompe sur état de l’opinion populaire, et sort des élections sans majorité. Elle doit s’appuyer sur les voix des élus de DUP, parti d’extrême droit protestant d’Irlande du Nord. Mais même avec le soutien du DUP, elle n’a pas la majorité pro-Brexit-à-tout-prix à la Chambre des Communes, et les députés rejettent trois fois l’accord qu’elle avait conclu avec l’UE,

47 5. L’Ere Johnson 2019 – ( ? 2020) Gouvernement-Johnson
C’est la droite dure, nationaliste ou souverainiste, trumpienne, qui prend le pouvoir.
Les élections législatives auront lieu le 12 décembre. Les nouvelles du 13 décembre seront très pour lesquels? Mauvaises pour de très nombreux Britanniques… mais

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